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Radiant fête ses 10 ans ! Une interview avec Tony Valente

04/12/2023 - Eri

La création de Radiant

Quelle est votre journée-type dans la création de Radiant ?

Tony Valente :  J’ai un assistant pour gommer et scanner mes pages ça me fait gagner beaucoup de temps surtout que je travaille généralement les derniers 2 mois. C’est durant cette période où je fais quasiment tout l’album et dans ces moments-là, cette personne me sauve la vie. Sans elle je n’y arriverais pas. Si je travaillais en numérique ça me ferait économiser du temps, mais je n’aime pas travailler en numérique. J’ai donc besoin d’avoir quelqu’un qui, pendant que je travaille toute la journée à faire mes pages, puisse les prendre quand elles sont finies pour les gommer et les scanner.

Dans les moments où je travaille vraiment, je vais commencer ma journée vers 6h30, 7h le matin. Je commence à travailler aussitôt. Après si j’écris, je vais souvent lire pendant 1 heure ou 2, des romans, des essais… Je me mets à écrire quand il y a l’urgence qui commence à arriver, quand je commence à décrocher de ma lecture parce que je suis en train de réfléchir trop à mon histoire. C’est un peu un échauffement.

Dans l’idéal sur une journée, parfois sur 2 ou 3 jours, j’écris un chapitre de 20 pages.  J’aime bien garder l’urgence. J’écris l’histoire, elle est là, elle est prête à être développée, il faut que je la fasse. Maintenant, je fais un ou deux jours de crayonné pour un chapitre et dans les jours qui suivent je vais faire l’ancrage. Généralement, je ne fais pas encore les trames parce que je crois que j’ai le temps et quand vient la fin de l’album et qu’après une journée de travail je dois faire les trames, je me dis que je ne dois plus jamais faire ça… Et ça fait 18 fois que je le fais. [Rires]


Vous pensez donc toujours au scénario en premier ? Le dessin est pleinement au service de l’histoire ?

Tony Valente : Oui. Après, il y a un peu des deux. Je prends des notes pendant que j’élabore mon histoire. Elle est présente sous plein de formes, des notes écrites, des croquis. Parfois je fais des croquis à partir de livres pour ne pas garder trop de livres de références, sinon je me sens perdu en fait. J’ai un problème de concentration. Si je dois chercher quelque chose et que j’ai l’infini d’internet, je peux passer l’infini du temps dessus.

Je suis comme un chat en fait, je vois un truc bouger je vais plonger dedans et à la fin de la journée j’ai le sentiment de n’avoir rien foutu et j’ai trop d’idées qui fusent.

Pour éviter ça, quand je me renseigne sur un sujet, un environnement, n’importe quoi, je prends des livres et je vais faire les croquis de tout ce qui m’intéresse en temps réel. Quand vient le moment d’aborder une partie d’histoire dans laquelle certains croquis ont du sens parce qu’ils pourraient m’inspirer, je vais les afficher et ça me sert de nuages de réflexion.

Les idées que j’ai eues, je les ai sur quelques croquis, sur quelques notes écrites.

Croquis - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente
Croquis - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente

© 2013, Radiant, Tony Valente / Ankama

Il y en a beaucoup qui restent dans mes tiroirs. Je vais replonger dedans quand j’ai besoin d’une information. L’histoire existe du début à la fin, même si une partie de la fin reste un peu floue. La fin et l’épilogue existent sous forme de croquis. Ça c’est la base.

Quand j’écris un chapitre, je l’écris sous forme de storyboard directement. Directement des images, elles ne ressemblent à rien, ce sont des images jetées possible pour avoir juste le dialogue et ceux qui seront présents dans la case. J’écris l’histoire comme ça, pour voir si le rythme des dialogues marche. Si les dialogues marchent entre eux, alors je dessine l’image finale. C’est à ce moment là que je réfléchis à ce que je veux transmettre avec. Mais avant tout ça, il faut structurer et écrire à un rythme correct pour que ça marche à l’oreille. 

Le dessin vient en tout dernier, c’est vraiment le glaçage.


Dans quel genre de livres puisez-vous votre inspiration ?

J’ai pas mal de livres de références avec des photos, des beaux livres pour inviter les gens à voyager dans un coin du monde, des guides que je prends à la bibliothèque.

Dans le tome 18, je faisais une scène dans le coin des chevaliers-sorciers, que je n’avais pas dessiné. Je voulais faire quelque chose de nouveau, qui ne soit pas dans le château, et je voulais un aspect vraiment ancré dans la Grande-Bretagne. J’ai pris un guide sur la Grande-Bretagne que j’ai trouvé joli, j’ai vu une côte avec des jolis rochers qui avaient de belles formes, une plage avec des rochers partout, puis les vagues éclatées. Donc là c’était un guide touristique.

Sinon ça va être des livres. Au Japon ils ont plein de livres de référence pour faire les mangas, ils en utilisent beaucoup.

Comme il y a beaucoup de mangas qui se passent à notre époque, il y a quand même beaucoup de lieux qui reviennent. Il y a beaucoup de livres de référence remplis de photos d’écoles par exemple.  Il est possible de reprendre ces images et les réutiliser dans les mangas. Du coup plusieurs séries peuvent avoir la même salle de classe, parce que les assistants auront eu le même livre. Elle est dessinée différemment donc on ne fait pas attention.

Ces livres-là, il y en a pour l’anatomie, pour les positions d’action, pour les animaux… Moi mon gros kiff c’est la fantaisie et les décors européens à l’ancienne. Ils en ont trop sur ça.

J’ai des livres sur les contre-allées en Europe. C’est juste des rues qui ne sont pas des rues, qui sont derrières les maisons, des endroits escarpés, avec des lampions, des gros pots de fleurs, des gens qui ont posés. C’est magnifique, je m’en sers trop.

J’en ai un sur les châteaux d’Europe. Il y a plein de château sous plein d’angles différents. Des fois ils mettent un personnage au milieu, qui fait des trucs, qui fait rien généralement, mais qui est là pour donner un rapport d’échelle aussi.

Il y a plein de trucs comme ça. Je ne vais pas reprendre exactement ce que je vois dedans, j’ai ces livres qui sont là, je passe au travers et je vais dessiner et afficher. C’est toujours la même histoire. Des fois quand j’ai quelques notes sur une idée de décor. Ça va juste être des éléments, pas des décors en entier.

Par exemple, dans le tome 14, je devais faire une classe de jeunes inquisiteurs qui apprennent ce que c’est l’inquisition, la philosophie de l’inquisition. Comme je voulais véhiculer plein de choses dedans, j’avais cette idée de faire un vitrail dans lequel on peut lire toute la symbolique de l’inquisition. J’ai regardé plein de vitraux, je suis allé dans les livres.

J’aime beaucoup les vitraux, j’adore ça je sais pas pourquoi.

Donc j’ai replongé directement dans des livres pour prendre spécifiquement des éléments que je trouvais caractéristiques des vitraux et façonner mon propre vitrail.

En même temps je me demandais à quoi l’intérieur de la classe allait ressembler, parce que s’il y a un vitrail il faut qu’il soit grand et les éléments de décor que j’avais n’étaient pas suffisant. Donc là j’ai repris un livre, j’ai vu l’intérieur d’une église qui était chouette et qui pouvait faire comme une salle de classe.

Radiant a 10 ans ! Une interview avec Tony Valente

© 2013, Radiant, Tony Valente / Ankama

C’est ce nuage de réflexion qu’il y a devant moi qui va me nourrir et ces fameux livres japonais incroyables qui sont là dans un coin et qui nourrissent mon imaginaire. Des fois je le regarde juste pour le plaisir. Je suis là, j’arrive à l’atelier le matin, j’en ouvre un, je regarde, c’est joli.

Donc c’est un peu tout ça.


Tout à l’heure vous avez évoqué la fin de Radiant. Pouvez-vous nous en dire plus ? A-t-elle changé depuis le début ?

Tony Valente : Il y a juste l’épilogue que j’ai écrit. Après quand j’ai été sûr d’aller au-delà de 4 tomes. Quand j’étais sûr de pouvoir ouvrir le monde, à ce moment-là j’ai posé l’épilogue que je voulais. Avant, je n’osais pas trop le mettre car je ne savais pas si ça allait durer ou pas. Donc j’avais la fin et j’avais surtout ce morceau d’épilogue. J’ai fait un gros focus là-dessus, pour donner un élan

J’aime bien voir la vie d’après, quand c’est bien fait. Le Seigneur des anneaux, j’adore l’épilogue. A la fin du troisième film le monde est sauvé, ils rentrent chez eux, tout le monde s’en fout. [Rires]

Tu as vécu un truc avec les personnages, alors qu’au début tu te réjouis de découvrir toute l’intensité du scénario. Je trouve ça magnifique, c’est confortable parce que tu as vécu toute une aventure avec eux et tu reviens avec eux. En tant que spectateur, tu vis la même chose qu’eux.

Cet épilogue donne un élan différent, parce que quand tu repenses à l’histoire, tu sais où sont les personnages. C’est chouette de savoir que Sam a une petite famille et qu’il vit sa meilleure vie, que Frodon a trouvé sa voie, qu’il ne trouvait pas jusque-là. C’est touchant. Et quand tu sais qu’ils sont en sécurité, tu as envie de recommencer l’histoire.

J’ai donc la fin depuis le début. J’ai l’épilogue depuis pas mal de temps. Ça, ça ne changera pas. Ce qui mène à la fin évolue, mais j’ai un bon 40% de la fin. Je sais ce que je veux absolument mettre. Autour, je viens greffer des idées. Donc oui, il y a quelques éléments qui bougent encore, mais la fin et l’épilogue, je les ai.

Une interview réalisée par Manga Clic le 30 novembre 2023. Merci à Tony Valente et aux éditions Ankama !

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