Avec Les Lueurs de l’Outre-Monde, Yamakujiya nous emmène dans un Japon encore hanté par les souvenirs de l’ère Meiji. A cette période de bascule, les traditions côtoient l’émergence du monde moderne, et les fantômes semblent trouver refuge dans les interstices laissés vacants par l’Histoire.
Torasuke, petit démon vif et curieux, est chargé de collecter les âmes des morts aux côtés de son partenaire Ushimatsu. Invisibles aux yeux des vivants, ils accomplissent leur tâche sans jamais interagir avec le monde humain… jusqu’au jour où un médium nommé Sôma les interpelle. Intrigué par cet homme hors du commun, Torasuke accepte de le suivre pour apaiser les fantômes qui errent entre les mondes.


Sous ses airs de fable surnaturelle, le récit se nourrit de blessures bien réelles. Entre douleur, poésie et lumière crépusculaire, dans un Japon Meiji encore hanté par ses cicatrices, les fantômes portent en eux les traces encore visibles de la guerre de Boshin, des épidémies de choléra, ou de la violence infligée aux femmes dans une société en mutation. Loin d’être de simples références plaquées, ces éléments historiques s’entrelacent naturellement au récit, imprégnant chaque rencontre d’une charge émotionnelle sourde, comme si le passé lui-même refusait de se laisser ensevelir.
Le ton, d’une grande délicatesse, ne cherche jamais à provoquer, encore moins à apitoyer. Ce sont les silences, les regards, les petites phrases glissées avec pudeur qui font naître l’émotion. Les petits démons, aussi joyeux soient-ils en apparence, trahissent par leur solitude et leur réserve une forme de douleur muette, à peine perceptible, mais toujours présente.
Le dessin épouse cette atmosphère douce et mélancolique. Le trait, fin et feutré, capte ces instants suspendus où le réel et l’irréel se croisent. Les visages sont expressifs sans surjeu, les décors baignés d’une lumière tamisée évoquent un Japon en clair-obscur, entre ombre et lumière, entre ce monde et l’autre. Il s’en dégage une beauté fragile, comme un souffle qui hésite entre partir et rester.
En un seul tome, Yamakujiya parvient à raconter une histoire complète, portée par une narration maîtrisée, sans excès ni lenteur. Le format court ne bride en rien la profondeur de l’intrigue, bien au contraire, et chaque personnage croisé laisse une empreinte, comme un reflet fugace dans l’eau. À travers cette errance poétique, Les Lueurs de l’Outre-Monde interroge ce qu’il reste des morts dans la mémoire des vivants, mais aussi ce que nous sommes prêts à entendre, à comprendre, à accueillir.
Un récit à la fois tendre, grave, et profondément humain, qui laisse derrière lui une lumière douce et persistante, comme une lanterne qu’on aurait oublié d’éteindre.
Remerciements à Kurokawa pour l’envoi du service presse.